mercredi 28 janvier 2015

De l’intérêt de l’histoire dans l’enseignement de l’éthique militaire

Christian BRUN
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France

Pourquoi l’histoire est-elle indispensable voire incontournable, d’un point de vue pédagogique, dans l’enseignement de l’éthique au sein des écoles militaires ? Nous répondrons, ici, en rappelant simplement que cette discipline, en offrant la possibilité à toutes les autres de s’appuyer sur des faits historiques, autrement dit sur un creuset d’expériences, est probablement la plus à même d’aborder les notions fondamentales de l’éthique, que nous appellerons ici soit « morale réfléchie », soit « éthique appliquée ».

Héraclès et Athéna

Les débuts de l’aérostation militaire

Christian BRUN
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France

L’aéronautique militaire n’est pas née au début du XXème siècle. En effet, l’Armée utilise la troisième dimension à des fins tactiques depuis 1794. Déjà, avant la période révolutionnaire les attentes sont très fortes : François Pilâtre de Rozier[1] et André Giroud de Villette[2], deux physiciens ayant fait l’expérience de la « machine » des frères Montgolfier[3], évoquent dès octobre 1783, dans le Journal de Paris, la possibilité de se servir du ballon comme d’une arme :

« Dès l’instant, je fus convaincu que cette Machine, peu dispendieuse, serait très utile dans une armée pour découvrir la position de celle de son ennemi, ses manœuvres, ses marches, ses dispositions, et les annoncer par des signaux aux troupes alliées de la Machine.[4] »

La bataille de Fleurus

mardi 20 janvier 2015

George Cayley, le père de l’aérodynamique

 Thierry M. FAURE
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France

Il est souvent difficile d’attacher le nom d’une personne à la fondation d’une nouvelle discipline scientifique, car cette dernière résulte de l’évolution de domaines déjà établis. Il en est ainsi de l’aérodynamique, branche de la mécanique des fluides dont les bases remontent aux travaux de Newton [1], Bernoulli [2], Euler [3] et d’Alembert [4]. Elle s’intéresse à l’étude du mouvement de corps dans l’air et, dès son origine, est directement liée au développement de l’aéronautique. Cependant, on peut raisonnablement considérer que George Cayley (Figure 1) est le véritable initiateur de l’aérodynamique à travers des approches théoriques, expérimentales et la conception d’aéronefs qui permirent la réussite des premiers vols planés en 1849 et 1853.

Figure 1 : George Cayley [Royal Aeronautical Society]


Le premier avion volait-il bien ?

Laurent BOVET
École de l’Air, 13 661, Salon Air, France


C’est le 17 décembre 1903 sur la plage de Kitty Hawk en Caroline du Nord que les frères Orville et Wilbur Wright réalisèrent le premier vol « officiel » d’un plus lourd que l’air.
Mais s’ils ont parcouru ce jour là jusqu’à 260m en ligne droite avec leur « Flyer »,  il n’est pas du tout certain qu’ils auraient pu aller beaucoup plus loin ou même simplement revenir à leur  point de départ.

Pour preuve une étude moderne menée dans les années 80 sous l’égide de l’AIAA, le « Wright Flyer Project », qui, grâce à des résultats en soufflerie d’une maquette à l’échelle réduite complétés par un code numérique, a permis de modéliser l’aérodynamique de cet avion et mettre ainsi en évidence les défauts majeurs dont il souffrait, notamment en terme de stabilité et de contrôle.

Fig.  1 : Photo historique du premier vol le 17 décembre 1903

Bellérophon : héros oublié ?

Camille BRUN et Christian BRUN
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France


Dès les débuts de l’aviation, les journaux et les revues spécialisées ont toujours associé l’aviation et les aviateurs à la mythologie grecque. Ainsi, lorsque l’on parle du vol, du sens de l’air, on pense immédiatement au mythe icarien. On l’associe à cet adolescent qui subjugué par le nouveau et merveilleux pouvoir de s’élever, grisé par la maîtrise du vol et de la troisième dimension, refuse d’entendre les conseils de son père et chute dans la mer ou les eaux se referment sur lui. En revanche il est plus rare de trouver des écrits faisant référence à Dédale, c'est-à-dire à l’inventeur, au créateur, à celui qui ne chute pas, à celui qui ne s’approche pas trop près du Soleil parce que plus sage, à celui qui va poursuivre sa route dans les airs et qui va parvenir à atteindre la Sicile. Mais, plus surprenant, il est également plus difficile de trouver une littérature faisant appel au mythe de Pégase et de Bellérophon dans le but de magnifier le pilote et la machine.



De la difficulté d’innover : l’exemple de l’avion sans pilote (fin)


Christian BRUN
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France

A la lecture des sources à disposition, d’autres problèmes que l’on ne peut pas scientifiquement prendre directement comme des éléments de réponse émergent. Tout d’abord, le capitaine Max Boucher a certes des soutiens de poids dans le monde de l’aéronautique et en particulier Laurent-Eynac, futur premier ministre de l’air, mais il a surtout des ennemis ou plus exactement des détracteurs au sein de l’Armée et des services techniques. Ainsi, peut-on et doit-on se poser les questions suivantes : dans quelle mesure ces inimitiés ont-elles joué dans les abandons des expériences ? Dans le domaine de l’innovation technologique, a-t-on le droit de penser que certaines inventions ont été délibérément sacrifiées dans le seul but de satisfaire certains chefs irrités par l’arme aérienne, tenants d’une armée classique et qui pensaient réellement que l’avion allait tuer la guerre ?
Le deuxième questionnement porte directement sur les applications militaires dans une période de fin de guerre et d’après guerre où les visées politiques sont plus tournées vers l’apaisement et la reconstruction que vers des armes considérées alors, comme des armes de destruction massive. Donc, l’idée même d’avion sans pilote encore appelé avion télécommandé et ses applications potentielles, ne correspondent pas avec les volontés nationales et internationales. On s’inquiète donc de l’utilisation de l’avion sans pilote en estimant que ce sera l’arme la plus atroce des temps futurs. Ainsi, il n’était pas question de mettre au point une arme de guerre susceptible d’effrayer les populations et d’engendrer des malaises dans les milieux politiques internationaux. Cette deuxième question porte donc sur l’importance de l’environnement social et politique en ce qui concerne le désintérêt pour l’avion télécommandé.

Un parachutage au clair de lune en 1942


Le 1er janvier 1942, à 15h45, trois hommes attendent sur un terrain d’aviation dans le Suffolk. Nous sommes sur le terrain de Stradishall, ils revêtent leur combinaison de parachutiste, ils vont enfin s’envoler vers la France. Qui sont ces trois hommes ? Le premier est Jean Moulin, de Gaulle l’a chargé d’unifier les mouvements de résistance. Le deuxième est Raymond Fassin, il est l’officier de liaison. Le dernier est Hervé Monjaret, il est le radio. Ce sera un parachutage blind c'est-à-dire sans comité de réception, une opération au clair de lune. L’avion dans lequel ils vont embarquer est un « Whitley », le numéro Z 9125. C’est à son bord que les trois hommes vont faire le grand saut sur les Alpilles. Le feu vert est donné, harnachés, ils s’envolent exactement à 16h20. A 16h30, ils atterrissent à Saint Eval pour faire le plein de carburant. Le patron de la base, le « Group Captain Bentley », donne l’ordre de décoller à 20h45, l’aventure peut commencer. Les hommes voient défiler les lampes de la piste de plus en plus vite, puis l'appareil décolle. Ils se regardent en silence et lorsqu’ils se retournent, ils aperçoivent le dispatcher, le « wing commander Benham ». Très vite, ils arrivent sur la Manche qu’ils survolent à faible altitude. C'est alors que Moulin leur fait part de la destination : ils vont en Provence. Il leur donne ses dernières instructions : une fois au sol, ils doivent se retrouver près de lui et enterrer le poste émetteur. Pour se reconnaître, ils siffleront un air connu. Les consignes données, les trois compagnons attendent. Ils traversent la Manche aux ras des flots, puis lorsque les côtes françaises apparaissent, l’avion prend de l’altitude. Soudain, les canons de la Flak se mettent à crépiter et les projecteurs se mettent en action ; les obus éclatent autour de l’avion. D’un coup, il pique vers la terre, le pilote a fait une manœuvre pour éviter d’être pris dans le faisceau d’un projecteur. Plus de peur que de mal, l’avion continue. La ligne dangereuse est maintenant dépassée. La route se poursuit, mais apparemment l’avion n’a pas pris la bonne direction car il va survoler Cherbourg et Saint-Nazaire. Il se dirige alors vers les Pyrénées, vire au dessus de Perpignan puis met le cap sur les Alpilles. A une heure du matin, le dispatcher réveille Jean Moulin, le largage est prévu dans peu de temps. Il est deux heures lorsque le pilote arrive sur la zone. Moulin se lève et se met en position. La trappe est ouverte et la lumière rouge s’allume. Les minutes s'écoulent, et l'ordre de sauter ne vient pas : le navigateur ne trouve pas la zone de largage. Le dispatcher demande à Moulin de retirer ses pieds de la trappe et d'attendre. Le Whitley vole maintenant très bas. Au bout de 30 minutes, ils se préparent à nouveau, car le pilote a annoncé qu’il était au dessus de l’objectif, c'est-à-dire à 4 km à l’est d’Eygalières, la lumière rouge est allumée. Debout, Fassin et Monjaret attendent le signal. La lumière clignote et s'éteint pour faire place au feu vert : c'est le GO libérateur. Le pilote avait annoncé « it’s exactly the point » et pourtant ils vont atterrir à 20 km du lieu prévu, non loin de Fontvieille. C’est Moulin qui a sauté en premier. Les parachutes descendent dans la nuit. Les trois hommes partent à la rencontre de leur destin, l’Histoire peut alors commencer.
Armstrong-Withworth "Whitley"



Christian BRUN

Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France