vendredi 1 mai 2015

La Cité de l’Air est édifiée

Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Dans le numéro 397 du mois d'Avril 2015 de la revue Armées d'aujourd'hui, en page 42, on peuty lire un dossier ayant pour titre : Balard vous ouvre ses portes. Ce dossier, met en avant les avantages liés au regroupement des états-majors, directions et services centraux à Balard, baptisé l'Hexagone. On y parle notamment des répercussions positives sur les prises de décisions, sur la conduite opérationnelle et sur les conditions de travail du personnel. On souligne, en particulier, la création de crèches, du restaurant, d'une salle de sport et d'une piscine.
81 ans auparavant, dans le n° 656 du 11 janvier 1934 de la revue Les Ailes, on pouvait lire un article intitulé : La Cité de l'Air est édifiée. Cet article vantait également les avantages du regroupement des différents Services de l'Aéronautique en mettant en exergue les mêmes répercussions sur la rationalisation des opérations, l'optimisation des démarches décisionnelles et sur l'amélioration des conditions de vie du personnel (crèche, lieux de détente, restaurant, terrain de sport).
Il est donc intéressant de souligner la similitude de ces deux articles pourtant si éloignés dans le temps. En revanche, si en 1934 le site va accueillir le Ministère de l'Air, en 2015 il est prévu pour être le siège du Ministère de la Défense.

Le Ministère de l'Air

      
La Cité de l’Air est édifiée

Elle aura, à sa porte, le terrain d’Issy-Les-moulineaux qui va être rendu à l’Aviation

La concentration de tous les Services du ministère de l’Air est en voie de réalisation. C’est une chose d’autant plus heureuse qu’elle sera l’occasion, pour le grand organisme officiel de l’Aviation française, de s’installer dans un cadre approprié au rôle considérable qui lui est dévolu. La « Cité de l’Air », qui s’édifie en bordure du terrain d’Issy-Les-Moulineaux, est une très belle œuvre pour laquelle, enfin on a su voir grand et loin. Résultat appréciable : cette œuvre se traduit en définitive, par des économies !

Le Ministère de l’Air a réalisé la concentration de l’Aéronautique dont les divers Services étaient éparpillés, avant sa constitution, entre divers Ministères. Il était logique qu’il cherchât lui-même à réaliser, à l’intérieur de sa propre maison, une concentration totale des multiples Directions, Inspections, Services et Bureaux qui le constituent. C’est ce souci d’amalgamer l’Aéronautique officielle en un tout cohérent, compact, lié qui est à l’origine de l’installation, boulevard Victor, du Ministère, en une véritable Cité de l’Air qui dotera la France d’une organisation unique.

Une machine hétéroclite
On se doute de l’ampleur de cette machine aux rouages innombrables qu’est le plus moderne de nos ministères. Cette machine fut montée, assemblée, peu à peu, en quelques vingt ans. A mesure que l’Aviation se développait, que de la modeste Direction de l’Aéronautique militaire d’avant-guerre on passait par des phases successives, au Sous-secrétariat d’Etat, puis au Ministère de l’Air, on ajoutait des rouages, des leviers, des commandes … Si la machine était, jusqu’ici , hétéroclite, on le devait davantage à la formation hâtive, saccadée, trop rapide de l’Aéronautique qu’à la négligence ou à l’incapacité de ceux qui en dirigèrent le fonctionnement. Personne n’est coupable. L’Aviation et les organismes officiels dont elle entraîna la création ont poussé trop vite. La Marine est née avec Colbert ; l’Aviation avec Laurent-Eynac. Ne récriminons donc pas à ce propos. Constatons plutôt qu’on ne pouvait guère bâtir du définitif avec quelque chose qui changeait constamment.
C’est ce qui explique que, jusqu’à ce jour, les Services du Ministère de l’Air étaient dispersés dans tous les coins de la capitale. On n’avait pas de place, rue Saint-Didier et quand le besoin imposait un nouveau Service, il fallait, pour le faire fonctionner, l’installer ailleurs. De la sorte, l’Air se trouvait non seulement, 35, rue Saint-Didier, mais dans quatorze autres immeubles.

Le Ministère de l’Air dans 14 immeubles
L’Administration Centrale, qui forme le Ministère proprement dit, occupait, outre le 35 de la rue Saint-Didier, l’immeuble situé au n° 20 de la même rue, le Bastion 68, boulevard Victor, le Bastion 43, le 37 de l’avenue Rapp. Les Services Extérieurs étaient répartis avenue Rapp également, 272, boulevard Saint-Germain (Centre d’Expériences Tactiques et Inspection Générale des Ecoles), au Bastion 43, (Inspection Technique), au Bastion 64 (1er G.O.A.), au Bastion 71 (Service Général du Ravitaillement et Garage militaire), au Bastion 68 (Services des Bases, Etablissement Régional de la Navigation aérienne, État-major du 1er G.O.A.), aux Invalides (Inspection de l’Aéronautique de Renseignement), 4 rue de la Porte d’Issy (S.T.Aé., Service des recherches, S.F.A.), 32 boulevard Victor (Ecole Nationale Supérieure d’Aéronautique), 176, rue de l’Université (O.N.M.). En outre les Arrondissements de Contrôle des fabrications aéronautiques se situaient dans quatre immeubles, correspondant aux régions Paris-Ville, Paris-Ouest, Paris-Est et Paris-Nord-Ouest.
Les inconvénients d’une telle dispersion apparaissent trop nettement pour qu’on y insiste : liaisons difficiles, perte de temps et perte d’argent, situation défavorable à un bon rendement. Si certains des locaux occupés étaient prêtés par la Guerre, sans frais pour l’Air, ceux-là étaient généralement vétustes, sales, incommodes. Les autres étaient loués par l’Air et représentaient des loyers importants.
Encore une fois, tout cela résultait de la marche des évènements de l’extraordinaire croissance de l’Aviation.

De la caserne modèle au Ministère modèle
Cependant, dès son arrivée au Ministère de l’Air, M. Pierre Cot s’émut de la dispersion de ses Services. Il chercha, avec le concours de son collaborateur le plus discret, M. René Corbin, à remédier à la situation.
En fait, l’installation de l’Air rue Saint-Didier avait déjà été un geste heureux en ce sens qu’il tendait à matérialiser la conception du Ministère intégral. Mais avec le développement de l’Air, cela ne suffisait plus. D’autre part, la Guerre, qui logeait gracieusement une partie des Services de l’Air dans ses inconfortables bastions, prétendait les récupérer, et l’Air allait être obligé de chercher ailleurs la place dont il avait besoin. C’est pourquoi, les prédécesseurs de M. Pierre Cot avaient entrepris , boulevard Victor, la construction d’un vaste immeuble destiné à abriter les Services Extérieurs. A côté de cet immeuble s’amorçaient les fondations d’une énorme caserne qui elle, devait recevoir les quelque 700 hommes et sous-officiers du 1er G.O.A. Ainsi l’Air pourrait restituer ses locaux à la Guerre
M. Pierre Cot examina les possibilités d’aménagement de l’immeuble – appelé l’immeuble T, en raison de sa forme – et prit une première décision : celle d’y loger le Ministère de l’Air – c’est-à-dire l’Administration centrale – et de concentrer tous les Services Extérieurs 35, rue Saint-Didier où ils prendraient la place de l’Administration Centrale. On était alors en avril.
Un peu plus tard, le Ministre fut amené à étudier de plus près le projet de caserne-modèle que l’on édifiait pour le 1er G.O.A. Le projet était admirablement conçu, à tel point qu’on y vit le moyen d’aller beaucoup plus loin dans la voie de la concentration intérieure du Ministère de l’Air. Soutenu par M. rené Corbin – qui est décidément, à l’Air, un excellent organisateur – par la haute autorité du Général Denain, un nouveau projet prit corps auquel le Ministre se rallia avec ardeur. Au lieu d’une concentration partielle, on allait aboutir à une concentration totale. Le Ministère tout entier s’installera dans le nouveau bâtiment - primitivement prévu pour le 1er G.O.A. – et les Services Extérieurs dans l’immeuble T. Il n’y aura plus rien rue Saint-Didier – dont le bâtiment sera remis à la disposition des Domaines auxquels il appartient – ni ailleurs.

Deux étapes       
Le plan d’ensemble n’est que partiellement réalisé. Si l’immeuble T est achevé, l’immeuble principal ne l’est pas . Il ne le sera guère avant septembre ou octobre 1934. C’est pourquoi on a adopté, en attendant une mesure transitoire. L’Administration Centrale est en train d’emménager dans l’immeuble T qu’elle n’occupera que provisoirement. Les Services Extérieurs resteront là où ils sont, sauf ceux qui occupaient des immeubles loués (37, avenue Rapp et 20, rue Saint-Didier) et qui , eux rallieront, tout de suite, le boulevard Victor ou le 35, rue Saint-Didier. Cela c’est la première étape, l’étape actuelle.
La seconde étape comportera l’emménagement définitif de l’Administration centrale dans l’immeuble principal et celui des Services Extérieurs dans l’immeuble T. La concentration totale sera alors réalisée.

La Cité de l’Air
La vue perspective que nous publions permet de se rendre compte de ce que sera la Cité de l’Air. Accolés aux installations existantes du Service Technique, du Service des Recherches, du S.F.A., de l’Ecole Nationale Supérieure d’Aéronautique, les immeubles du Ministère de l’Air formeront, avec ces installations, un tout compact. Disposant de bureaux modernes, pratiques où pénètrent l’air et la lumière, le Ministère constituera une organisation modèle, harmonieusement conçue.
La caserne primitivement prévue sera construite derrière l’immeuble principal. On l’a ramenée à des proportions plus raisonnables en ne l’étudiant que pour les quelque 250 hommes et sous-officiers du 1er G.O.A. qui serviront à la Cité de l’Air comme secrétaires, chauffeurs … Les autres seront casernés en banlieue, près des Services qui les occupent. La caserne de l’Air sera réalisée sous forme de petits bâtiments, sans étage, en briques apparentes et qui cadreront avec l’ensemble de la Cité. La caserne-modèle devait coûter 8 millions : les dépenses seront ainsi réduites à 2 millions.
D’autre part, on avait prévu un garage pour les automobiles. Ce projet entraînait une dépense de 2 à 3 millions. Elle sera évitée. L’Air possède des hangars métalliques Bessonneau qui seront aménagés en garages et que l’on édifiera le long des bâtiments du Service Technique en bordure du terrain d’Issy. On souhaite que ces hangars ne viennent pas compromettre l’harmonie de l’ensemble.

Du restaurant à la pouponnière
On a beaucoup vanté – avec raison d’ailleurs – le Ministère de l’Aéronautique italien tel que l’a voulu le Maréchal Balbo. Notre Ministère de l’Air procèdera, une fois terminé, des mêmes soucis et des mêmes principes. On y aménagera une grande salle de culture physique pour le personnel, un vaste restaurant où déjeunera ce personnel qu’il soit civil ou militaire, officier ou sous-officier. Longeant cette salle de restaurant, un balcon très large permettra de passer agréablement les moments de repos. On prévoit également une coopérative d’achats en commun, le fonctionnement de Services médicaux et, enfin, ce qui constituera une innovation dans l’Administration française, une garderie d’enfants. Il y a beaucoup de ménages à l’Air : la pouponnière sera une belle œuvre sociale. Ajoutons, enfin, qu’un terrain de sport sera réalisé et que d’abondants parterres de plantes et de fleurs sépareront les différents bâtiments.

13 millions d’économie
Ce plan est fort séduisant. Il a l’avantage d’être déjà, en partie, réalisé. Mais une question se pose. Que coûtera-t-il, à l’Etat ? La réponse est réjouissante. En capital, il se traduit par une économie de 13 millions.
L’abandon de la caserne modèle, la suppression du garage géant et – surtout – la libération des immeubles que l’Etat louait, produisent, tout compte fait, cette somme. Le collège Lacordaire, 35, rue Saint-Didier, avait été acheté 11 millions. Soit, que l’Etat le revende, soit que le fait d’être disponible évite à l’Etat la construction ou la location d’un immeuble dont il aurait besoin par ailleurs, la récupération est indiscutable.
D’autre part, la concentration produira des économies non moins indiscutables : économies de voitures – l’effectif s’en trouvera réduit de moitié – économie de personnel, économie sur les frais généraux : chauffage, téléphone, etc. … Le fait de concentrer tous les Services permettra une surveillance plus effective, une connaissance plus exacte des véritables besoins de chacun, une organisation méthodique de toute la maison.

Le terrain d’Issy 
Enfin, pour terminer il est une question sur laquelle nous sommes heureux d'insister car Les Ailes l'ont, à plusieurs reprises, soulevée. Le Ministère de l'Air aura à sa porte son aérodrome.
Des conférences ont eu lieu entre l'Air, la Guerre et la Ville de Paris et l'on peut dire qu'elles ont abouti à sauvegarder le terrain des heures héroïques. Il était temps : l'Exposition de 1937, les Habitations à loyers modérés, les P.T.T., etc., s'apprêtaient à le dépecer littéralement.
Dans ses négociations, l'Air a poursuivi deux buts. D'abord, empêcher que l'on diminue encore la valeur aéronautique du terrain dans son état actuel. Ensuite, permettre à l'Aviation de l'utiliser dans la mesure de ses besoins. Ces deux buts ont été atteints. Aucune installation ne viendra réduire les dimensions présentes du terrain - qui, dans son sens le moins favorable, a une longueur de 550 mètres et offre, dans un autre sens, la possibilité d'une piste de 1.000 mètres, - en attendant que plus tard, on puisse l'aménager en véritable aérodrome. En tout cas, un résultat essentiel est acquis : on a préservé l'avenir.
Quand on songe à la situation incomparable d'Issy-les-Moulineaux, on comprend l'immense portée de ce résultat.
Grâce à ce terrain, grâce aussi à la conception très large des installations en cours d'achèvement, c'est bien une véritable Cité de l'Air qui est en train de s'édifier en bordure du boulevard Victor. Nous applaudissons à cette œuvre : M. Pierre Cot a eu le rare mérite de voir grand et de donner au Ministère qui, à bref délai, deviendra le plus important, le cadre qui lui convenait. Qu'il en soit complimenté et, avec lui, tous les bons artisans de la Cité.    


Georges HOUARD 

Laurent Eynac

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