vendredi 6 février 2015

Petite histoire des "Écoles de l’air" : des racines, des ailes et des hommes

Christian BRUN
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France

Si la première promotion de l’École de l’Air arrive à Versailles en 1935, il ne faut surtout pas occulter cette période préparatoire qui correspond au début du XXe siècle, en passant par la guerre de 14-18 jusqu’à l’après-guerre et qui est d’autant plus importante qu’elle est porteuse de toutes les idées, les interrogations, les réticences et les volontés. En effet, dès cette époque, va se poser le problème de la sélection des aviateurs, de la mise en place des écoles, de l’instruction et bien évidemment du recrutement direct. Une Armée de l’air qui se veut autonome doit posséder une école unique et spécialisée dans le domaine aéronautique.


Carte d’élève-officier mécanicien 1931


C’est donc grâce à tous les « hommes de bonne volonté », qu’ils soient politiques ou militaires, que le 3 juin 1933 l’École de l’air est créée et que la première promotion arrive au complet le 4 novembre 1935 à la caserne des Petites Écuries à Versailles. Mais, l’enfance de cette école sera difficile et perturbée. En effet, ayant enfin rejoint Salon-de-Provence, en 1937, elle va devoir supporter, 2 ans plus tard, des déménagements successifs, liés à un repli, à un retour en Provence, puis à une dissolution, ensuite à une renaissance et enfin à nouveau à une dissolution entraînant un éparpillement en métropole et une recréation en Afrique du Nord. Elle ne reviendra définitivement à Salon-de-Provence qu’en 1946 où les poussins retrouveront les élèves de l’École militaire de l’air. Ces deux écoles, depuis plus de 60 ans, vivent en parfaite harmonie sur les terres salonaises et ont accueilli, pendant cette période, d’autres écoles qui sont venues grossir le flot des élèves.

1.  Des pionniers, des idées et les premières écoles

Le ministère de la Guerre est un des initiateurs de l’apparition de l’aviation au début du XXe siècle. L’artillerie et le génie vont alors tester le potentiel militaire de ce nouveau moyen de locomotion. Elles vont se disputer et revendiquer le monopole de l’aéronautique dès les années 1910. Des militaires vont s’illustrer dans l’emploi de cette nouvelle arme en mettant en place une culture et une identité spécifiques dont on retrouve actuellement les grands traits dans les écoles de l’Armée de l’air. 
Les centres d’instruction s’organisent pour former des civils et des militaires au pilotage de ces délicates machines que sont les aéroplanes. Les premières écoles sont créées, entre autres, à Pau, Cazaux, Avord, Chateauroux, Istres et Ambérieu. Elles mettent en place et transmettent les premières traditions et les premières spécificités techniques du métier d’aviateur.

Quelques repères

En 1909, tous les aviateurs militaires poursuivent leur instruction au camp de Châlons.
En juin 1910, le général Roques, directeur du Génie, annonce que toute l’aviation passe à son service, son chef sera le lieutenant-colonel Estienne.
En décembre 1910, l’Inspection Générale est créée avec pour chef le général Roques.
En septembre 1910, l’Aéronautique fait son apparition, en tant qu’unité, aux grandes manœuvres de Picardie.
En novembre 1913, c'est la création de la 12e Direction indépendante réunissant aviation et aérostation (service de l’aéronautique).

2.  La Grande Guerre : les premières traditions et Guynemer

L’aéronautique est employée par les belligérants en 1914 et voit naître rapidement les premières spécialisations (reconnaissance, bombardement, chasse, …). Les écoles se multiplient car les personnels doivent être formés en nombre. L’aviation participe à la guerre de masse et à la victoire finale des Alliés. Cette période correspond à la mise en place de la symbolique aéronautique et des premières cultures spécifiques comme par exemple, le jargon aéronautique, les insignes, les particularités vestimentaires ou encore la façon de travailler, que l’on retrouve dans les écoles. L’aviation est personnifiée de 1914 à 1918 par l’"as", chevalier de l’air, dont le plus célèbre représentant est le capitaine Georges Guynemer. Engagé comme élève mécanicien au début du conflit, il totalise 53 victoires aériennes lorsqu’il disparaît « en plein ciel de gloire » le 11 septembre 1917. L’Armée de l’air en fera un mythe et l’École de l’air son héros à travers sa devise restée célèbre : « Faire face ».

Quelques repères

Début 1914, les écoles de pilotage doivent fermer leurs portes pour libérer le personnel instructeur indispensable à la formation d’escadrilles. Les écoles sont réorganisées pour former de nouveaux pilotes.
Pendant la Grande guerre, l’élève aviateur est recruté dans les autres armes. Il passe des examens médicaux à Dijon. Après un mois de cours théoriques, il subit un examen et est affecté soit à Tours, le Crotoy, Juvisy ou Buc pour le pilotage du Caudron, soit à Chartres ou Étampes pour le Farman, soit à Avord ou Ambérieu pour le Voisin, soit à Pau pour le pilotage des avions rapides. L’élève passe son brevet militaire au bout de quelques semaines. L’obtention de ce brevet, lui permet de partir en école de perfectionnement sur avion de guerre à Avord, Chateauroux ou Ambérieu. Après cette phase, les meilleurs partent à Pau à l’école de chasse, puis à Cazaux  pour l’entraînement au tir. La dernière étape se situe à Plessis-Belleville où, pendant un mois, les pilotes s’entraînent pour rejoindre le front.

Georges Guynemer se prépare pour une mission

3.  La volonté de s’émanciper

La mobilisation en faveur d’une aviation autonome aboutit en 1928 au Ministère de l’Air. Les forces aériennes sont unifiées au service de l’Armée de terre puis, le 1e avril 1933, deviennent indépendantes avec la création de l’Armée de l’air. L’acquisition de cette autonomie ne s’est pas faite sans mal et les tensions vont perdurer au-delà du Second conflit mondial. Ainsi, dès cette époque, tout est prévu pour que cette nouvelle Armée puisse se doter d’une grande école de formation pour ses officiers.

Quelques repères

En 1920, a lieu le premier concours de contrôleurs des matériels (mécaniciens) et des comptables.
En mai 1921, l'instruction provisoire sur le recrutement et la formation des personnels institue à Versailles (aux Petites Écuries), un Centre d’Etude de l’aéronautique chargé du perfectionnement des officiers qui se destinent à l’aéronautique.
En 1922, l’école du Génie de Versailles, installée dans les Petites Écuries du château, se voit confier la mission de former l’ensemble des officiers du personnel navigant de l’Aéronautique, alors que, jusqu’à cette date, la formation était assurée par 4 écoles différentes. On considère, de façon officieuse, que la première promotion de l’École militaire de l’air (EMA) est donc celle de 1922.
En décembre 1922, l’aéronautique militaire devient de façon officielle la cinquième arme.
En 1923, les sous-lieutenants issus de Polytechnique ou de Saint-Cyr se destinant à l’Aviation sont versés dans l’aéronautique dès leur sortie d’école et font un stage d’application aux « Petites Écuries ».
En décembre 1925, le Centre d’études de l’aéronautique devient « l’École militaire et d’Application de l’aéronautique », chargée de l’instruction des sous-officiers élèves-officiers et des sous-lieutenants sortant de l’École Polytechnique ou de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Leur stage de deux ans se fera à Avord puis à Cazaux.
En septembre 1928, le Ministère de l’air est créé.
En janvier 1929, l’Etat-Major de l’Armée de l’air et de l’administration air est créé.

Pilotes et mécaniciens dans les années 1920

4.  Les créations officielles et le choix de Salon-de-Provence

Avant la création officielle de l’École de l’air, cinq promotions d’élèves-officiers mécaniciens vont se succéder à partir de 1930. Cette École d’officiers mécaniciens de l’Aéronautique est située à Versailles. Elle marque la première étape vers une école de recrutement direct. Les élèves sont, pour la plupart, issus des Écoles nationales des Arts et Métiers (ENAM). L’Armée de l’air, dans sa quête d’indépendance et de reconnaissance, a besoin de disposer d’une école autonome pour la formation de ses officiers. L’École de l’air est créée le 3 juin 1933 sur proposition du ministre de l’Air Pierre Cot. Versailles va alors accueillir temporairement les élèves avant leur arrivée définitive à Salon-de-Provence.
La première promotion de l’École de l’air date de 1935. L’École est alors commandée par le Général Houdemon. La cinquantaine d’élèves-officiers qui compose cette promotion débute aux Petites Écuries de Versailles une formation complète : militaire, académique et aéronautique. Elle invente ses propres traditions et choisit comme parrain le capitaine Georges Guynemer à qui elle emprunte sa devise : « Faire face ». Le Centre-école de Salon-de-Provence accueille, fin 1937, la troisième promotion de l’École de l’air. Le Piège se referme sur les poussins qui sont maintenant élevés en Provence. Malgré quelques difficultés liées aux problèmes de déménagement et d’installation, les cours continuent et les traditions perdurent.

Quelques repères

En février 1930, le premier recrutement direct voit le jour aux Petites Écuries : les Officiers Mécaniciens de l’Aéronautique.
En 1933, l’Ecole militaire et d’application de l’Armée de l’air est créée.
En avril 1933, le décret fixant la création de l’Armée de l’air est signé.
En juin 1933, l’École de l’air pour le recrutement direct des cadres navigants est créée. Le Président de la République Albert Lebrun signe un décret instituant une École de l’air formée par le rassemblement des différentes écoles militaires (de formation, application ou perfectionnement) de Versailles, Istres, Avord, Étampes et prévoit sa mise en place à Salon-de-Provence le 1er octobre 1935.
En juillet 1934, la loi définissant l’organisation de l’Armée de l’air et de l’École de l’air est instituée.
En Novembre 1935, a lieu l'installation dans la caserne des Petites Écuries de Versailles de la première promotion recrutement direct.
En 1935, les premiers terrains à Salon-de-Provence sont pris en compte et la construction des deux hangars Jeumont débute.
En 1936, la Base école n° 356 voit le jour.
En mai 1937, les premiers baraquements pour accueillir la première promotion à Salon sont construits.
En novembre 1937, la Promotion « Mézergues », s'installe à Salon-de-Provence.
En février 1938, débute la construction du Bâtiment de la Direction de l'Enseignement.
En février 1939, l’École militaire de l’aéronautique devient officiellement l’École Militaire de l’air.

5.  Le temps des incertitudes et l’installation définitive

En Août 1939, ordre est donné au commandant de l’École de se replier sur Bordeaux. Mais, lorsqu'arrive la défaite, le 18 juin 1940, l’École va alors tenter de partir pour l’Afrique du Nord via les ports du Sud-Ouest. Cette tentative sera un échec et le Piège prendra ses quartiers à Collioure. Après un bref retour en terre provençale, l'École sera dissoute. Dans cette période de clandestinité, elle tentera de survivre à Toulouse. Avec sa réouverture officielle en 1941, elle rejoindra à nouveau Salon-de-Provence puis sera fermée définitivement en 1942. Les deux années qui vont suivre seront marquées par la poursuite de certaines activités, dans la clandestinité, des promotions dispersées en métropole, par la création d’une école en Afrique du Nord (2 promotions) et par le retour à une école unique en 1945.     
Occupée par des troupes allemandes à partir de 1942, l’École est bombardée par les Alliés après le débarquement de Provence, puis l’occupant fait exploser les installations avant de quitter le site. Le BDE, les hangars et certaines infrastructures annexes sont partiellement détruits. 
Ainsi, les dégâts subis par la Base-école de Salon contraignent l’Etat-major, en 1945, à chercher un endroit pour héberger momentanément les élèves de l’École de l’air. La rue de la Faisanderie, à Paris, est envisagée, mais on lui préfère le collège de Bouffémont avant de les installer aux Petites Écuries du château de Versailles. Après avoir considéré la possibilité de s’installer sur la base de Chambéry, l’École de l’air retourne finalement à Salon-de-Provence en 1946.

Quelques repères

En août 1939, l’École se replie sur Bordeaux (bases annexes : Bergerac, Mont-de-Marsan et Landes de Bussac).
En juin 1940, les élèves tentent d’embarquer pour l’AFN. L'École s'installe à Argelès-sur-Mer et Port-Vendres (quelques départs vers l’Angleterre et Oran puis Meknès). Elle prendra ses quartiers au château des Templiers à Collioure jusqu’au 15 Août 1940.    
En août 1940, c'est le retour à Salon-de Provence, puis la dissolution de l’École à la fin du mois.
En septembre 1940, l’École entre dans une semi clandestinité et la nouvelle promotion (40) s’installe au château de Bellevue à Toulouse.
En octobre 1941, c'est le retour officiel à Salon.
En novembre 1942, c'est la fermeture de l’École, le retour dans les foyers et l'occupation de la base par les Allemands. A partir de cette date les élèves vont rejoindre certaines grandes écoles pour continuer leurs études. Le groupement « jeunesse et Montagne », qui constitue la branche air des « Chantiers de la Jeunesse », va accueillir dans les centres pyrénéens et alpins les élèves éparpillés.
En mai 1943, c'est le départ pour Sainte-Livrade du Lot dans les bataillons de la Défense passive.
En juillet 1943, une ordonnance fonde l'École de l’air de l’aviation française d’Afrique du Nord ; ouverture à Marrakech de l’École de l’air (promotions AFN) ; entraînement militaire au camp d’Arround, au cœur de l’Atlas marocain. Les stages de pilotage se feront aux USA et notamment à Tuscalosa (Alabama), Graigfield et à Big Spring dans le Texas. Ainsi en 1943 et 1944 il y aura une promotion France et une promotion AFN. Pour l’École militaire de l’air, l’école ayant été dissoute après l’armistice, les études reprendront avec deux promotions AFN en 1943, une promotion métropole, une promotion en Afrique du Nord et une promotion en Indochine en 1944.
En janvier 1944, a lieu le départ de certains élèves, restés en métropole, pour l’École des mines de Saint-Etienne (certains prendront le maquis ou partiront pour l’AFN).
En 1945, l’École de l’air rejoint la métropole et, à cause des bombardements qui ont endommagé les infrastructures à Salon, elle doit trouver un site. Trois possibilités s’offrent alors à elle : un immeuble de la rue de la Faisanderie à Paris, le Collège des Roches en Normandie ou l’ancien collège de jeunes filles de Bouffemont. C’est ce dernier emplacement qui sera choisi. Les vols d’accoutumance se font sur le terrain de Persan-Beaumont.
En janvier 1946, c'est le retour de l’École de l’air aux Petites Écuries à Versailles.
En octobre 1946, a lieu le retour définitif en Provence : aspirants, poussins et EOA se retrouvent tous à Salon.
En 1947, la base de Salon prend l’appellation de « Base École 701 ».

Cérémonie au drapeau à Bordeaux en 1940

Baptême de la promotion 1944 à Marrakech

 Le Bâtiment de la Direction de l'Enseignement en 1944

L’Ecole Militaire de l’Air

D’autres écoles ont pris pour site Salon-de-Provence et se sont progressivement intégrées directement ou indirectement dans les cursus proposés par l’École de l’air et l’École militaire de l’air. C’est, tout d’abord, l’École aéronautique navale en 1941, puis l’École du commissariat de l’Armée de l’air (ECA) en 1953, ensuite le Cours spécial de l’École de l’air (CSEA) en 1973 et enfin le Cours spécial de formation des officiers (CSFO) arrivé sur la base en 1994. Mais ce sont aussi des échanges, à partir des années 1950, avec les anciens pays de l’Union française puis avec les Etats-Unis et enfin avec de nombreuses académies militaires étrangères.

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